Journal de la Mini Barcelona
7-12 mai 2004
Course en double
de 500 milles, sans escale
Barcelone — tour des îles Baléares — Barcelone
Totem affronte vaillamment un
fort coup de vent (force 9) et finit après 5 jours de mer devant
tous les prototypes (5e).
Convoyage
Je décide d'amener Totem à Barcelone le week-end du 24/25
avril. Mon équipier pour la course n'étant pas libre, ce
convoyage est ma première longue navigation en solitaire.
Arrivé le jeudi soir, je prépare le bateau le vendredi,
et je pars en fin d'après-midi, en même temps que quatre
autres ministes de Port-Camargue. Le vent monte graduellement dans la
soirée, et j'adapte la voilure en conséquence. Je mets le
pilote automatique pour aller dormir un peu et je suis
réveillé un peu plus tard par un mouvement anormal du
bateau ; je sors pour rattraper l'empannage (changement des voiles de coté qui
peut entraîner des dommages matériels) puis je
retourne me coucher ; après un second puis un troisième
réveil je comprends que le pilote a un problème. Je me
mets à la barre et je réduis régulièrement
la voilure car le vent continue à monter. Au bout de 2 ou 3
heures, le vent atteint force 8, c'est un coup de Tramontane, la mer
n'est pas grosse mais les vagues déferlent sur le pont : il est
vraiment incofortable de rester dehors, mais comme le vent vient du
travers, Totem avance vaillament sans ralentir. Je change un peu la
direction de marche et j'adapte les réglages des voiles pour
pouvoir amarrer la barre (visiblement ça marche à cette
allure). Je passe le reste de la nuit à l'intérieur en
essayant de dormir, en sortant de temps en temps pour vérifier
que nous ne sommes pas en route de collision et pour remettre de la
toile car le vent a un peu molli. Au petit matin, la direction du vent
a trop changé pour que le bateau puisse avancer droit barre
amarrée (nous sommes au grand largue) ; je me remets à
barrer. Nous avons déjà dépassé la
frontière avec l'Espagne ; les sommets enneigés des
Pyrénées surplombent des grosses collines
rougeâtres qui rejoignent la mer ; c'est beau, mais je suis
fatigué et je mets à deux reprises le bateau à la
cape (les voiles sont
disposées pour qu'il dérive lentement sans qu'il soit
nécessaire de barrer) pour un somme de vingt minutes.
L'après-midi, le vent a molli jusqu'à force 4, le soleil
sèche Totem et mes affaires ; j'envoie le grand spinnaker jaune (énorme voile en forme de bulle).
En fin d'après-midi, le vent tourne et je finis le trajet
jusqu'à Barcelone en tirant des bords dans des vents
légers ; la nuit, le pilote daigne marcher à nouveau : je
rattrape un peu mon sommeil. L'arrivée à Barcelone le
dimanche matin est magnifique : la ville se déroule sous les
yeux et grimpe aux collines auquelles elle s'adosse. Je suis bien
fatigué mais je suis content de cette première
expérience. Après les rangements, me voilà dans le
train de nuit pour Paris.
Préparation
J'arrive à Barcelone le mercredi 5 mai pour les contrôles
de sécurité. Je vide le bateau de tout les poids inutiles
et je bricole un peu. Je m'accorde un après-midi pour un
parcours architectural dans Barcelone. Unique assemblage de styles, des
églises romanes et gothiques aux immeubles post-modernes, en
passant par les oeuvres de Gaudi et contemporains. Emmanuel, mon
équipier pour la course, me rejoint le vendredi matin ; Totem
est sorti de l'eau et nous frottons ses dessous pour améliorer
la glisse. Après les achats de vivres (loyophilisés,
fruits, biscuits et chocolat...), nous prenons la météo
et préparons la stratégie. Le parcours nous fait
contourner une bouée 500 m au vent de la ligne de départ,
puis longer la côte sur 25 milles (45 km) avant de plonger vers
Minorque, passer au sud de toutes les îles Baléares,
contourner Ibiza et enfin revenir vers Barcelone.
Samedi 7 mai
Le club organisateur étant le Reial Club Maritimo, le
départ est donné en espagnol ; je me trompe dans
l'interprétation de la pavillonnerie et je m'aperçois
tout d'un coup que le départ a déjà
été donné. Nous passons la première
bouée bons derniers. Suit un long bord de portant
(vent-arrière), qui longe la côte catalane jusqu'à
Arenys de Mar, où nous nous amusons à surfer les vagues.
Nous sommes légèrement plus rapides que la flotte et nous
comblons notre retard. A la fin de l'après-midi, nous passons la
deuxième bouée en milieu de flotte. Nous sommes alors au
près (nous remontons contre le
vent) et nous sommes légèrement moins rapides que
nos concurrents ; je m'escrime longuement aux réglages sans rien
améliorer, puis je descends et je m'aperçois que le
placement des poids (matériel, jerricans d'eau...) n'est pas le
bon ; une fois corrigé, notre vitesse est à nouveau
convenable. Pendant la nuit, le vent varie en direction et nous
adaptons les réglages et la voilure. Le petit clapot et le
sommeil que je n'ai pas trouvé me rendent un peu malade.
Heureusement, Emmanuel est en forme.Nous nous reposons par quarts d'une
heure et demi à deux heures. En fait la navigation en double est
plutôt une double navigation en solitaire.
Dimanche 8 mai
Au petit matin, nous voyons déjà Minorque. La
présence de l'île change notablement le vent et nous
manoeuvrons régulièrement : le gennaker, puis le
spinnaker, puis le génois, puis le solent... sont successivement
en l'air pendant que nous contournons l'île. Nous sommes toujours
en milieu de flotte. Après Minorque, nous poussons au
près vers le sud pour anticiper la rotation du vent au sud. Nous
virons bien après les concurrents à notre voisinage. Nous
revirons à proximité de Majorque tard dans la nuit puis
encore une fois en fin de nuit.
Lundi 9 mai
Dans la matinée, nous dépassons Cabrera, un îlot
rocheux sauvage et aride (réserve naturelle si mes souvenirs
sont bons) qui est à quelques milles au sud de Majorque.
Là le vent est assez sud pour continuer tout droit sur
Formentera (île jumelle de Ibiza, se trouvant à son sud).
Nous alternons entre génois et gennaker et atteignons Formentera
à la tombée de la nuit, toujours en milieu de flotte. La
météo prévoit force 6 à 7 pour le
lendemain, mais vu la position de la dépression, je pense que
nous ne serons pas trop secoué. La nuit, nous contournons les
îlots qui entourent Formentera et Ibiza. Je me demande parfois si
nous ne passons pas trop près ; il est difficile de juger des
distances la nuit.
Mardi 10 mai
Le vent est complètement tombé et la mer est d'huile.
Faire avancer le bateau demande une grande concentration aux
réglages et à la barre. Nous visons le nord, car le vent
doit s'établir au nord-est puis tourner au nord le lendemain. En
fin de matinée, le vent rentre graduellement et nous
réduisons la toile : solent, puis un ris dans la grand-voile
puis deux ris puis un ris dans le solent puis trois ris. Après
un nuage plus noir que les autres, le vent monte encore et il faut
gréer le tourmentin (minuscule
voile de tempête orange fluo) à l'avant. Deux ou
trois vagues me submergent, je manque de laisser le solent passer
à l'eau, et je reviens complètement trempé
à l'arrière. Pendant ce temps là le pilote a
à nouveau perdu la tête et Emmanuel est sorti en
catastrophe pour prendre la barre. Il y a maintenant force 8 (assez pour que le vent brise des branches
d'arbre) ; comme nous sommes au près, nous sommes bien
secoués. Comme mon ciré est complètement
trempé, j'enfile ma combinaison de survie, qui ressemble
à une combinaison de plongée en néoprène,
en plus épais et en plus couvrant ; au début elle est
confortable car elle est complétement étanche. Le vent
monte encore et nous établissons laborieusement la voile de cape
(voile de tempête qui remplace
la grand-voile) ; je n'avais pas réfléchi à
comment la gréer car je n'avais jamais pensé l'utiliser.
Il y a alors force 9 - je n'ai jamais vu autant de vent en mer - et au
plus fort la mer est aplatie : le vent souffle les crêtes des
vagues en une pluie d'embruns qui vole à la surface de l'eau.En
fin de journée, le vent molli un peu alors que nous nous
rapprochons de la côte. Je n'ai pas envie de manoeuvrer pendant
la nuit : ça pourrait être dangereux pour
l'équipage. Je décide de renvoyer la grand-voile à
trois ris et de virer pour nous éloigner des côtes ; nous
apprendrons à l'arrivée que les vagues étaient
énormes plus près des côtes, au dessus de la limite
du plateau continental, et trois concurrents auront eu des cloisons
fendues à force de taper dans les vagues.
Mercredi 10 mai
Il y a un moment que je ne me sens plus en course ; je me demande un
peu ce que je fais là, et je pense juste à ramener
intacts l'équipage et le bateau. Pendant la nuit, c'est un peu
le rodéo : le barreur ne voit pas grand chose et se retrouve
propulsé en avant ou en arrière à chaque vague.
Après réflexion, il est plus sûr et aussi
performant d'amarrer la barre et de se mettre tous les deux à
l'intérieur. Au petit matin, nous virons ; le vent est toujours
à force 8, mais la mer n'a pas vraiment grossi, les vagues
dépassent rarement les 4 mètres (ce qui est peu vu la
force du vent). En fin de matinée le vent commence à
mollir ; nous renvoyons la toile graduellement. En fin
d'après-midi, le vent tombe complètement, et les voiles
battent dans les vagues résiduelles. Je suis un peu
épuisé et commence à trouver la combinaison de
survie désagréable : elle est étanche dans les
deux sens et l'on marine dans son jus. Le vent rentre du sud-ouest et
je traîne un peu trop à envoyer le spinnaker, ce que fait
Emmanuel au quart suivant. Nous avançons assez vite vers
Barcelone dont on aperçoit le halo lumineux, bien que nous
soyons encore à 40 milles (70 km).
Jeudi 11 mai
Le vent tombe complétement au petit matin. A ma surprise nous
apercevons plusieurs concurrents devant Barcelone. Nous sommes bien
lents pour parcourir les derniers milles qui nous séparent de la
ligne d'arrivéeque nous coupons à midi. A ma plus grande
surprise, il y a peu de voiliers dans le port : nous sommes 5e sur 20
partants, et tous les prototypes sont derrière nous ! Je suis
content, bien qu'un peu plus de combativité après le coup
de vent eût pu nous faire facilement gagner une ou deux places.
Pour la première course que je termine avec Totem (nous avions
abandonné l'an dernier à la course des Lions), c'est plus
honorable.
Convoyage retour
Nous repartons de Barcelone vendredi après-midi. Je pense
arriver à Port-Camargue dans la nuit de samedi à dimanche
; mais l'absence d'Eole me contredit. Je dépose Emmanuel
à Port-Vendres pourqu'il puisse être au travail le lundi
matin et j'arrive tout seul à Port-Camargue dans la nuit.
Epilogue
Un ami m'avait mis en contact avec une institutrice ayant la voile
comme projet de classe et qui l'utilisait pour toutes sortes
d'activités pédagogiques. Je vais raconter la course aux
gamins ; je suis assailli de questions et je finis de digérer
nos aventures. Les prochaines sont déjà pour début
juillet.