Journal de la Transgascogne
20 - 30 juillet 2003
Course en double de 580 milles
Port Bourgenay (Vendée) — Gijón (Espagne) — Port Bourgenay

Arezki épaule Bernard sur Loupiot (un Coco, ancêtre des Minis de Série) et ils finissent 1ers des Coco menés en double.

Jeudi 17 juiller
J'arrive a Port-Bourgenay (Vendée) pour courir la Transgascogne 6.50, sur le voilier de Bernard, mon équipier de la course des Lions. La Transgascogne 6.50 est une course au large sur voiliers de 6m50, de la classe mini. 70 voiliers y participent : 40 en solitaire et 30 en double (comme nous) ; dans chaque catégorie, il y a des prototypes et des voiliers de série, ce qui donne 4 classements séparés. Notre monture est un Coco (Loupiot est son petit nom et Jogging International son nom pour la course), un vieux (donc lent) voilier de série. Sur le papier, nous sommes derniers de la flotte ; heureusement, il y a deux autres Coco parmi les voiliers de série en double ; nous pourrons nous battre avec eux à armes égales.

Vendredi 18 juillet
La journée est consacrée au bricolage et au matossage. Je passe 2 heures accroché à mi-mât pour faire sauter des rivets et abaisser le détecteur radar afin de le rendre moins sensible. C'est un équipement tres utile en solitaire car il déclance une alarme quand il détecte un radar ; il prévient ainsi de la proximité d'un cargo ou d'un autre gros bateau. En théorie, les voiliers ont priorité sur les navires à moteur (sauf les pêcheurs en travail), mais en pratique, les cargos n'assurent pas toujours la veille obligatoire ou ne détectent pas les voiliers dont les échos aux radar peuvent se confondre avec de grosses vagues. Nous allégeons le bateau (pour les performances) de tout le matériel inutile pour la course (par exemple du moteur hors-bord).

Samedi 19 juillet
C'est la journée du prologue, petite course en équipage obligatoire (pour le spectacle) mais ne comptant pas pour le classement de la course. Nous sommes remorques par un zodiac de l'organisation pour sortir du port et nous sommes surpris par une houle et un vent plus forts que prévu ; nous réduisons la toile en consequence. Nous prenons le départ au premier tiers de la flotte, assez contents, mais trop de concurrents ont franchi la ligne avant le top-départ et le comité de course décide de redonner le départ, sous règle noire (les concurrents qui coupent la ligne trop tôt sont disqualifiés pour la régate) ; notre second départ est meilleur, mais pour les mêmes raisons, le comité redonne un troisième départ où nous sommes dans les 10 premiers, puis un quatrième, où, énervés par l'attente, nous ne sommes qu'à mi-flotte. Un départ de régate est un exercice assez difficile car un voilier ne peut s'arrêter sur l'eau (sans jeter l'ancre), n'est pas manoeuvrant à petite vitesse et met un peu de temps à accélérer ; le but du jeu est de couper la ligne le plus tôt possible, tout en étant a pleine vitesse. Le prologue est marqué par accident stupide : nous éperonnons l'arrière d'un concurrent (refus de tribord de notre part car l'écoute de grand voile s'est coincée, mais il a viré juste devant nous), ce qui occasionne des dégâts sur les deux voiliers. A la fin du prologue, une quinzaine de concurrents ont abandonné (souvent pour de petites avaries qu'ils veulent réparer avant le grand départ) et une quinzaine de concurrents ont été disqualifiés pour avoir franchi la ligne trop tôt ; nous finissons 25e sur 33 classés et premiers parmi les Coco.

Dimanche 20 juillet
Le départ de la première étape est donné à 15 heures, nous sommes au milieu du paquet. Le parcours n'est pas au plus direct : il faut monter vers le nord jusqu'a Belle-Ile en laissant l'ile d'Yeu a bâbord (gauche), avant de descendre vers la côte du nord de l'Espagne. Le vent est assez faible et de face (de nord-ouest), nous tirons des bords laborieusement jusqu'a Yeu que nous atteignons au petit matin.

Lundi 21 et mardi 22 juillet
Le vent se lève et l'allure (bon plein) devient défavorable au Coco. Nous sommes distancés petit à petit, mais nous passons Belle-Ile à peu près en même temps que les 2 autres Coco. Aux Poulains (extrémité de Belle-Ile où ont été prises nombre de classiques photos de tempête), bien que le vent soit médium (force 5), la houle s'est bien creusée et on ne voit plus que les mâts des concurrents par moments. Le vent a tourné et il est à nouveau de face (de sud-ouest) pour descendre sur l'Espagne. Je suis encore un peu barbouillé malgré des conditions clémentes ; c'est probablement parce que je suis arrivé fatigué et préoccupé ; mais je commence à être heureux d'être en mer. Le vent remollit la nuit et nous passons beaucoup de temps à affiner les réglages pour suivre les variations du vent en force et en direction. Il est bien plus difficile de régler la nuit car on perd la vision (même si l'on éclaire les voiles c'est moins bien que de jour). De temps en temps, je mets le pilote automatique et je me repose allongé au fond du cockpit, contemplant le ciel étoilé. Mardi continue sur le même rythme : petit temps et vent très variable. Selon l'orientation du soleil et la visibilité, nous apercevons quelques concurrents à l'horizon.

Mercredi 23 juillet
A la fin de la nuit, la chevauchée fantastique commence, nous découvrons les feux (de position) de nouveaux concurrents à l'horizon et ces feux se rapprochent graduellement, nous en dépassons certains. Je suis remonte a bloc ; pendant mes quarts, je suis extrémement concentré à la barre et aux réglages. En fin de matinée, nous sommes au milieu d'une bonne vingtaine de concurrents ; maintenant qu'il fait jour, nous allons à peu pres à la même vitesse qu'eux. C'est presque paradoxal de se retrouver si nombreux dans la même zone après deux jours et demi de course. En milieu d'après-midi, le vent se lève et l'allure (travers / bon plein) nous est à nouveau défavorable et nous sommes distancés par plusieurs concurrents. Nous sommes consolés par le comité d'accueil : des dauphins et leurs sauts périlleux ; ils nous suivent et jouent autour du bateau pendant deux bonnes heures. A la tombée de la nuit, Gijon n'est plus qu'à 15 milles nautiques (28 km), mais le vent mollit.

Jeudi 24 et vendredi 25 juillet
A minuit, la mer est d'huile, une petite houle perturbe l'assiette du bateau et les écoulements autour des voiles, il est très difficile de faire avancer le bateau mais nous sommes tres contents de laisser sur place deux concurrents et d'en dépasser un. Nous tirons des bords et parvenons laborieusement au port de Gijón à 3 heures du matin. Il nous aura fallu 6 heures pour parcourir ces 15 derniers milles. Bonjour l'Espagne, après 3 jours et demi de navigation. Nous sommes satisfaits : 13e sur 18, les deux autres Coco sont derrière, il y a deux Pogo (modèle plus performant) et un Pogo 2 (modèle nettement plus performant) derrière égalment (pour ceux qui connaissent, Mirabel est un peu vert car nous n'arrivons qu'une demi-heure après lui). Un gros dodo jusqu'à midi ; rangements et puis nous voilà partis pour la vie festive de Gijón et sa prodigieuse hospitalité : réceptions à la mairie et au Club Nautique Royal, bars ouverts bien tard, jolies Espagnoles... Nous faisons plus ample connaissance avec quelques concurrents et nous visitons la ville.

Samedi 26 juillet
Bernard, qui a du mal à émerger m'envoie au briefing de la deuxième étape, à 9h30 ! Nous quittons le port à la voile un peu avant midi et le départ est donne à 13 heures devant la grande plage. Encore du près (allure où l'on va contre le vent) dans du petit temps pour commencer. Apparement, nous avons un problème de vitesse (quelque chose ne va pas dans nos réglages et nous n'allons pas assez vite comparativement aux concurrents). Le vent n'est pas du tout conforme aux previsions mais nous infléchissons notre route vers une bande de nuages a l'horizon qui annonce probablement la bascule de vent escomptée. En fin d'après-midi, après une période difficile pratiquement sans un souffle, le vent s'établit au Nord-Ouest (i.e. il vient du NW) et nous virons pour viser directement Port-Bourgenay. A partir de ce moment-la, l'allure (vent de travers a grand largue) et la mer qui permet de surfer les vagues (les modeles récents partent tres bien au surf) sont vraiment défavorables au Coco ; notre but est de limiter les dégats. A la tombée de la nuit, je suis de quart, le vent a légèrement molli et je pose la question d'envoyer le gennaker (une voile d'avant plus grande en surface). Je regarde au vent et un nuage bien sombre... patientons un peu. Un peu plus tard, le vent forcit nettement, je prends un ris dans la grand-voile (je réduis sa surface), mais je flemmarde pour la voile d'avant (je devrais la changer pour une plus petite), mais j'ai le sentiment que le vent va remollir rapidement. Je suis obligé de changer de direction (en l'occurrence j'abats) pour garder le contrôle du bateau, mais on avance a fond la caisse. Un quart d'heure plus tard, le vent molli, je peux reprendre la direction initiale. Je suis content de
mon coup : nous avons doublé le Pogo qui était deux cent mètres devant nous.

Dimanche 27 et lundi 28 juillet
Nous ne changeons quasiment pas de route jusqu'a l'arrivée. Nous barrons quasiment tout le temps, car un humain est meilleur barreur qu'un pilote dans ces conditions où
il est souvent possible de surfer (donc d'aller plus vite). Ceci dit, il y a par ailleurs beaucoup de conditions ou le pilote barre mieux que moi (quand je suis fatigué, quand l'allure n'est ni le près ni le grand largue...), ce qui fut un peu rageant quand je le compris. Toutefois, le pilote est gros consommateur d'électricité, et les ressources électriques sont comptées sur un voilier de 6m50 ; tous ont des panneaux solaires, certains des groupes électrogènes ou des éoliennes, mais, à moins d'alourdir considérablement le voilier et donc de nuire aux performances, il faut modérer les dépenses électriques.
La navigation est régulièrement ponctuée par des changements de voile d'avant pour suivre les variations du vent en force et en direction ; nous avons alternativement (par ordre de surfaces croissantes) génois, gennaker, petit spinnaker, grand spinnaker. Nous arrivons a Port-Bourgenay après quasiment deux jours de course. Nous sommes 14e sur 18 à cette etape, les deux autres Coco sont encore derrière, tou comme un Pogo et un Pogo 2. Avec le cumul des temps, nous sommes 15e sur 18 au classement des deux étapes. L'honneur est sauf !

Du mardi 29 juillet au vendredi 1 août
Bricolage pour préparer Loupiot pour la Transat 6.50 (La Rochelle — Lanzarote, Canaries — Salvador de Bahia, Brésil) dont Bernard prend le départ le 14 septembre 2003. Le dernier jour, nous devons mettre le bateau en chantier (pour réparer l'étrave endommagée lors du prologue). Lors du démâtage, le grutier commet une erreur en soulevant le mât qui bascule et retombe à l'envers sur le voilier, alors que nous sommes dessus. Heureusement, les dommages matériels sont mineurs et il n'y a pas de blessé. Je n'ai eu peur qu'après coup. Morale de l'histoire : ce n'est pas seulement en mer (lors d'un démâtage accidentel) que l'on risque de se prendre le mât sur la tête.