Journal de la Transat 6.50
Charente Maritime - Salvador de Bahia
17 septembre-31
octobre 2005
Course en solitaire de 4200 milles
La Rochelle— Puerto Calero (Lanzarote, Canaries) —Salvador
(Brésil)
PREMIERE ETAPE
Prologue.
Pontons avant le
départ. Totem sort
du port. Début du
parcours.
Le départ
La pression monte graduellement - je n'ai pas le temps de tout
préparer comme je le souhaite - les réunions et
formations se succèdent. La 3ème place du Prologue (en
équipage) me met de bonne humeur bien que ce soit un peu un
hold-up : les vents faibles favorisent Totem et nous avions pris une
option tactique radicale. Je suis content de pouvoir bien dormir la
dernière nuit. Quand nous quittons la Rochelle, les quais sont
noirs de monde - je ne m'y attendais pas et cela me tend un peu. Il y a
aussi plein de bateaux spectateurs sur l'eau. Après un tour
jusqu'à Fort Boyard, nous laissons l'île d'Oléron
à bâbord… la course commence vraiment.
Sur l'eau (le jeu est de
retrouver Totem).
Première nuit
Je gère très mal le début de course. J'ai
décidé de partir un peu à droite de la route
directe pour anticiper la rotation du vent vers l'est. Le vent forcit
graduellement à force 6-7 … Totem navigue à plus de 10
noeuds de moyenne avec des pointes à 16 ou 17 noeuds, il
enfourne un peu et l'eau recouvre régulièrement le pont.
Au troisième départ au lof (sortie de route) et
après sept heures à la barre, je suis
bien fatigué et j'affale laborieusement le spinnaker
(j'enlève
la grosse voile d'avant). Après, Totem roule terriblement et
j'en attrape le mal de mer… ce qui fait que je tarde à renvoyer
le spinnaker. J'aurais dû simplement abattre (me mettre plus
vent-arrière) et mettre le pilote automatique - je ne savais pas
encore qu'il se serait très bien débrouillé car je
manquais de pratique dans ces conditions, d'ailleurs Totem fera plus
tard des pointes à plus de 15 noeuds sous pilote automatique.
Sous spinnaker (voile rouge) et sous
pilote.
Deuxième journée
La fin du Golfe de Gascogne approche et je commence à prendre le
rythme du large… Après avoir affalé le grand spinnaker
(pour passer au petit spinnaker), je lève les yeux et
j'aperçois le câble de guignol (qui rigidifie le haut du
mât) qui pend hors de son logement ; grande frayeur : le
mât va-t-il me tomber sur la tête ? Je dois grimper
immédiatement. Le temps que je m'équipe, le ridoir s'est
dévissé et est tombé à l'eau. Je prends un
bout (un cordage) et je l'attache au baudrier. Une fois en haut,
ça bouge horriblement (il y a deux mètres de creux), le
câble du guignol fait une dizaine de tours autour des bastaques
et le bout s'est détaché du baudrier ! Heureusement il me
reste un autre bout (qui ne convient pas) et je m'en sers pour fixer le
câble de sorte que il ne s'enroule pas sur autre chose. Quand je
redescends, je vide mon estomac par dessus bord, remets Totem en route
et m'allonge pour 4 heures, épuisé. Une fois un peu
reposé, je renvoie le petit spi et je réfléchis
à la suite : une escale pour réparer me ferait perdre
plein de temps, je ne porterai plus le grand spi et je remonterai au
mât si les conditions se calment.
Troisième journée
Fatigué, j'ai mal préparé le passage du cap
Finistère que je double de trop près et je me retrouve
dans une zone sans vent. Je fais de l'ouest pendant quatre heures,
quasiment à la perpendiculaire de la route, pour m'en
dégager.
Encore sous
spi.
Une petite pointe.
Charge des batteries.
Quatrième journée
J'ai pris le rythme ; je me suis accoutumé à aller dormir
alors que la quille vrombit dans les pointes de vitesse. La vie
à bord est rythmée par les repas, les vacations radio
avec les bateaux accompagnateurs (8h et 19h TU), la météo
(11h TU)… Je me fais un petit plaisir en déjeunant d'une salade
fraîche ; Totem surfe sous pilote et des dauphins jouent autour…
je me sens en harmonie avec le bateau et la mer. J'ai aussi vu mes
premiers poissons volants.
Arrivée
Première terre depuis le cap Finistère… on retrouve un
peu l'émotion des navigateurs-explorateurs de la
Renaissance. Lanzarote est une île volcanique aride ; des
villages-oasis blanc-vert ponctuent le paysage. Je coupe la ligne
d'arrivée après 8 jours de course ; tous les records sont
battus à cette édition : nous avons eu des vents portants
soutenus pendant toute l'étape. Nous sommes 18e sur 30 en
bateaux de série ; je ne suis pas mécontent : je
m'attendais à pire, vu que Totem était handicapé.
L'escale est consacrée au repos, à la remise en
état de Totem et à un peu de tourisme.
Approche de Lanzarote
Totem à bon port.
Renforcement de la grand-voile.
DEUXIEME ETAPE
Départ
Nous tirons des bords dans des vents de secteur sud. Le but du jeu est
d'atteindre au plus vite les alizés, de l'autre
côté d'une zone sans vent. Je ne comprends pas pourquoi je
suis un peu largué après un jour de course… apparemment
le vent est très variable sur le plan d'eau.
Départ de
Lanzarote.
Une rencontre.
Au large du Sahara Occidental
Je me retrouve assez près de la côte ; il faut être
vigilant : il y a plein de pêcheurs. Le matin, le vent tombe
complètement et Totem est à l'arrêt. Un bateau gris
s'approche et se met en panne (s'arrête) à quelques
dizaine de mètres, une rangée de quatre jumelles
m'observe… il s'agit de la Marine marocaine. Je les appelle à la
VHF et je leur explique que je suis en course… des questions s'en
suivent "Avez-vous un problème ?", "De quelle nationalité
?", "Où est votre drapeau ?". Ils repartent et le vent
s'établit peu après.
Au large de la Mauritanie
Une dépression est établie sur la Mauritanie, il fait
gris et le vent est très instable : les manoeuvres se
succèdent. Ce n'est que bien tard que l'on atteint vraiment les
alizés qui sont assez mous.
Une autre rencontre. A-t-elle
effrayé le barreur ? Ou s'est-il évaporé sous
l'effet de la chaleur ? Il était caché à
l'intérieur.
Avant l'Archipel du Cap Vert
J'entends à la radio les avaries qui se succèdent :
démâtage, safrans brisés, spis
déchirés… Mon moral en prend un coup et je lève un
peu le pied : je passe 24 heures sous petit spi(nnaker) alors que je
pouvais largement porter le grand.Le vent mollit encore et je me sens
à nouveau en course, surtout que je viens d'apercevoir le
premier concurrent depuis le lendemain du départ. Fabrice et moi
naviguerons à portée de VHF jusqu'au Pot-au-Noir.
Archipel du Cap Vert
Je n'ai vu aucune île ! Malheureusement, cela fait partie de la
bonne tactique : les îles sont hautes et occultent le vent sur
une centaine de kilomètres. Comme le vent est mou, je choisis
d'emprunter la grande passe, entre les îles au vent et les
îles sous le vent afin d'avoir le vent le plus régulier ;
ce qui me fait gagner 2 ou 3 places.
Le Pot-au-Noir : alternance de calmes
et de grains. Une chape de plomb et une chaleur moite.
Le Pot-au-Noir
ou Zone de Convergence Inter Tropicale, la zone de transition entre les
alizés de l'hémisphère nord et les
alizés de l'hémisphère sud, où des
périodes sans vent alternent avec des orages. C'était
pour moi la grande inconnue du parcours. Comme la météo
annonce qu'il est peu actif, je décide de le passer plus
à l'est que prévu (27 degrés de longitude). Le
premier grain (nuage d'orage) au milieu de la nuit me réveille
pour aller réduire la toile… je suis surpris de trouver un autre
concurrent qui me double dans la journée ; je ne le reverrai
plus du tout : Eric arrivera un jour après moi. Le grand moment
d'inspiration sera pour la fin de la première journée :
j'examine le ciel et je prends la route du milieu de la zone la plus
claire… le Pot-au-Noir est relativement clément pendant les 2
jours suivants, les grains sont modérés et il y a assez
de vent pour avancer dans les calmes. Nous sommes au près ; je
choisis le bord rapprochant et je tire des contre-bords (au près
avec le vent venant de l'autre côté du bateau) pour me
dégager des calmes ou profiter des accélérations
du vent sous les nuages. Le dernier jour est désagréable
surtout à cause de l'humidité : si l'on met le
ciré on est mouillé par la transpiration, si on
l'enlève on est mouillé par les embruns et la pluie,
l'intérieur est tellement humide que l'on transpire même
allongé. Six heures de sur-place puis un dernier grain et je
sors du Pot-au-Noir…
Avant l'équateur.
Le
passage de l'équateur.
Après l'équateur.
Vers l'équateur
A la sortie du Pot-au-Noir, nous sommes au près et sous la route
; je me demande s'il faut tirer un contre-bord mais finalement le vent
adonne (tourne) assez pour viser Fernando de Noronhia, archipel au
large du Brésil que l'on doit laisser à tribord.
J'écope plein d'eau dans les fonds et le bateau commence
à sécher. Le premier contact radio (avec un bateau
accompagnateur) depuis 5 jours est bien agréable : sous l'effet
de la fatigue du Pot-au-Noir, je commençais à prendre
tous les bruits anormaux pour des voix. Je respecte (partiellement) la
tradition et je
fête le passage de l'équateur en partageant un jus
de fruit et des noix de cajou avec Neptune.
En approche du Brésil
Première nuit au bord du plateau continental, marqué par
une suite de lumières espacées d'une centaine de
mètres… il s'agit de pêcheurs qui s'aventurent bien loin
sur leurs frêles jangadas. Le vent tourne progressivement et nous
nous retrouvons à tirer des bords au portant. L'avant
dernière nuit, je fais ma seule erreur météo de la
seconde étape : je reste au large du Brésil alors qu'il y
a plus de vent à la côte. Cela ne change rien au
classement de l'étape, mais j'aurais pu encore gagner une ou
deux places au cumul des deux étapes.
La terre est
proche ! Dans la Baie de
tous les Saints Salvador et son elevador.
Arrivée
En fin de nuit, le vent tombe et l'approche de Salvador est bien lente.
Au petit matin, j'entre dans la Baie de tous les Saints ; j'ai le temps
de profiter du paysage car le courant est contraire (marée
descendante). Je suis tout surpris de voir une vedette et deux zodiacs,
en comité d'accueil. Je coupe la ligne après 23 jours de
mer, en 12e position parmi les 30 voiliers de série (4e parmi
les 14 bateaux de l'ancienne génération et j'en bats
plusieurs de la nouvelle), je suis content de ma navigation et heureux
d'arriver de l'autre côté. Bilan des courses :
15ème au général (cumul des temps des deux
étapes). Une fois à quai, de voir
autant de monde me fait un drôle d'effet. Le retour au travail va
être difficile…
Sur la ligne
d'arrivée.
L'accostage assisté
de Bernard.
Premiers plaisirs de terrien.
Epilogue
Je me repose et fais un peu de tourisme. Le Brésil est pauvre -
il vaut mieux éviter la provocation en étalant ses
"richesses" - mais c'est un magnifique pays et les Brésiliens
sont très gentils… un geste national : le pouce levé en
l'air (signe que tout va bien). Les derniers jours de mon séjour
sont
consacrés au démontage de Totem et à son
chargement dans le hangar où il va attendre le cargo qui le
ramène en France. Les manutentions s'avèrent être
impressionnantes.
Totem à
nu.
Levage de
Totem.
L'échafaudage passe tout juste.